Georges Éphraïm Mikhaël

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Par Daniel Fanguin

Choix de poèmes

 


Nul poème achevé, nulle douce amoureuse 
Ne remplira jamais de somnolence heureuse 
Mon cœur que rien n'apaise et que rien n'assouvit. 
Car après tous mes vers et toutes mes étreintes, 
Indicible et profond, dans mon Âme survit 
Le Regret des Désirs morts et des Soifs éteintes.

                                                       Rêves et désirs

 

 

Réminiscences épiques


Je préfère aux beautés des Artémis divines 
Le corps mièvre et danseur des filles de Paris ; 
J'aime les yeux rieurs et les voilettes fines, 
Les contours estompés par la poudre de riz.

J'aime l'ambre et le musc plus que l'antique myrrhe ; 
Pour moi, la nudité des nymphes ne vaut pas 
Une robe moulant un beau corps, et j'admire 
Les chers souliers nerveux qui font de petits pas.

Et comme les froufrous des vêtements de femmes, 
Comme l'odeur des fleurs mortes entre les seins, 
J'aime tous les petits frissons des frêles âmes 
Et le subtil parfum des poèmes malsains.


 

Dimanches parisiens

 

Sous le ciel gris lavé d'opale 
Et qu'un soleil aux rayons lents 
Poudre d'or vaporeux et pâle,
Elles vont à pas nonchalants ;

Roses de froid sous les voilettes 
Elles passent, laissant dans l'air 
Une senteur de violettes
Mourantes, et de blonde chair.

Elles ne vont ni vers l'église 
Où, sur les mystiques autels, 
L'encens qui monte symbolise 
L'élan des esprits immortels ;

Ni vers les discrètes alcôves 
Où le mousseux déroulement 
Des rideaux jusqu'aux tapis fauves 
Ruisselle langoureusement.

Sur les promenades banales 
Elles vont montrer leurs velours 
Et les richesses hivernales 
Des manteaux orgueilleux et lourds.

Elles passent, frêles poupées 
Aux yeux cruellement sereins, 
Adorablement occupées 
À bien cambrer leurs souples reins,

À faire entrevoir leur chair d'ambre 
Et leurs cheveux d'or blond ou roux, 
Et, sur le verglas de Décembre, 
Leur robe a de royaux froufrous.

Mais le long dimanche, plus triste 
Que les plus monotones nuits, 
Dans leurs yeux de froide améthyste 
A mis la fièvre des ennuis.

 

Ô Promeneuses des jours blêmes 
D'hiver et des dimanches longs, 
Nous, les chiffonneurs de poèmes, 
Mignonnes, nous vous ressemblons,

Et, sans Amour et sans Prières, 
Nous allons montrer, indolents, 
Notre manteau de Rimes fières 
Qui fait des froufrous insolents.

Mais un Ennui vague ensommeille 
Notre marche lente à travers 
Une vie égale, et pareille 
Aux dimanches gris des hivers.

 


Clair de lune mystique

 

Ce soir, au fond d'un ciel uniforme d'automne, 
La lune est toute seule ainsi qu'un bâtiment 
Perdu sur les déserts marins, et lentement 
Vogue dans l'infini de la nuit monotone.

Ce n'est pas la clarté des monotones nuits 
Brillantes d'or fluide et de brume opaline ; 
Mais le ciel gris est plein de tristesse câline 
Ineffablement douce aux cœurs chargés d'ennuis.

Chère, mon âme obscure est comme un ciel mystique, 
Un ciel d'automne, où nul astre ne resplendit, 
Et ton seul souvenir, ce soir, monte et grandit 
En moi, comme une lune immense et fantastique.

Chère, nous n'avons pas été de vrais amants :
C'est par caprice et par ennui que nous nous prîmes, 
Et pourtant, j'ai voulu te façonner des rimes, 
Bijoux sacrés, ayant d'étranges chatoîments.

C'est qu'au fond de mon cœur mystérieux d'artiste, 
Le souvenir de ton amour pâle et banal 
Verse comme le ciel en un bois automnal 
Un reflet alangui de clair de lune triste.

 

 

À celle qui aima le cloître


Tu parlais du jardin où les roses claustrales 
Pour les bouquets d'autel fleurissaient doucement, 
Des nonnes dans l'enclos lumineux et dormant 
Cueillant des fruits au son des cloches vespérales ;

Et moi je te voyais en un calme couvent 
T'asseoir, rigide et blanche, aux stalles des chapelles 
Et lever vers le ciel tes mains froides et belles 
Et fermer ta fenêtre au printemps décevant.

Je te vois puérile et chaste, et je devine 
À ton sourire tes extases d'autrefois. 
Les cantiques anciens résonnent dans ta voix, 
Tu gardes dans tes yeux un peu d'ombre divine.

N'est-ce pas que là-bas, en de mystiques soirs, 
Comme moi tu songeas à des choses célestes ? 
Pour toujours maintenant, ô sombre sœur, tu restes 
Celle qui mit des lys aux arcs des reposoirs.

Et peut-être souvent ta tête appesantie 
S'endort sur mon épaule en regrettant le ciel, 
Et mes lèvres d'amant n'ont pas assez de miel 
Pour vaincre la saveur de la première hostie.

Tous les deux, nous avons trop longtemps contemplé 
Les nuages en fuite et les roses du cloître, 
Notre puissant amour pourra durer et croître, 
Notre cœur restera divinement troublé.

Peut-être expions-nous l'ivresse merveilleuse 
D'avoir rêvé jadis à des pays meilleurs ? 
Nous sommes les amants tristes parmi les fleurs 
Et même le bonheur ne te fait pas joyeuse.

 

 

Effet de soir


Cette nuit, au-dessus des quais silencieux, 
Plane un calme lugubre et glacial d'automne. 
Nul vent. Les becs de gaz en file monotone 
Luisent au fond de leur halo, comme des yeux.

Et, dans l'air ouaté de brume, nos voix sourdes 
Ont le son des échos qui se meurent, tandis 
Que nous allons rêveusement, tout engourdis 
Dans l'horreur du soir froid plein de tristesses lourdes.

Comme un flux de métal épais, le fleuve noir 
Fait sous le ciel sans lune un clapotis de vagues. 
Et maintenant, empli de somnolences vagues, 
Je sombre dans un grand et morne nonchaloir.

Avec le souvenir des heures paresseuses 
Je sens en moi la peur des lendemains pareils, 
Et mon âme voudrait boire les longs sommeils 
Et l'oubli léthargique en des eaux guérisseuses.

Mes yeux vont demi-clos des becs de gaz trembleurs 
Au fleuve où leur lueur fantastique s'immerge,
Et je songe en voyant fuir le long de la berge 
Tous ces reflets tombés dans l'eau, comme des pleurs,

Que, dans un coin lointain des cieux mélancoliques, 
Peut-être quelque Dieu des temps anciens, hanté 
Par l'implacable ennui de son Éternité, 
Pleure ces larmes d'or dans les eaux métalliques.


C’est un soir…

C’est un soir de silence et de deuil tendre,
Tous les lys du jardin tremblent un peu ;
Les ormes de l’allée ont l’air d’attendre,
On dirait que les vents pleurent un dieu.

 

Infidélités


Tu parlais de choses anciennes, 
De riches jardins somnolents 
Que de nobles musiciennes 
Troublent, le soir, d'échos dolents ;

Et de chapelles où s'attardent 
Les princesses en oraison ; 
Et de lits féodaux que gardent 
Toutes les bêtes du blason.

Hélas ! tes paroles amies 
Pour mon cœur avide et lassé 
Ont réveillé ces endormies :
Les amoureuses du passé.

Et chacune à présent se lève 
Devant moi dans le calme soir, 
Émergeant à demi du rêve 
Comme un corps blanc d'un fleuve noir.

Oh ! les invincibles rivales 
Que vous-mêmes vous appelez ; 
par ces visions triomphales
Nos pâles amours sont troublés.

Entre vos seins de sœur clémente 
Vous cachez vainement mon front : 
C'est vers quelque lointaine amante 
Que mes désirs cruels iront.

Je sais bien, vos yeux d'améthyste
S'emplissent de reproches doux... 
Et je suis mortellement triste 
De n'avoir plus d'amour pour vous.

 

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