En ces temps de pandémie la poésie reste la plus sûre manière de voyager.
Avenue Louise Michel
J'ai fait un rêve saugrenu
Tu descendais nue l'avenue
Louise Michel
T'avais les hanches d'un violon
Il semblait que sous tes talons
Fondait le gel
Tu t'avançais d'un pas léger
Comme un oiseau qu'aurait marché
Dessus ses oeufs
Un vieil abbé pudiquement
Pendu au bras de son amant
Baissait les yeux
Les terrasses étaient déjà pleines
Un métro de mauvaise haleine
Ouvrait sa gueule
Tu volais sur les boulevards
Je regardais les gens te voir
Avec orgueil
Pas un passant jeta sa veste
Ni tenta le zeste d'un geste
C'était si beau
Tombées des toits, ces gouttes d'eau
En perles ruisselant tout au
Long de ton dos
J'ai fait un rêve saugrenu
Tu descendais nue l'avenue
Louise Michel
Au balcon sifflotait un peintre
Et tu passais digne et sans crainte
Sous son échelle
Emoustillés par ton reflet
Des pêcheurs lançaient leurs filets
Depuis la rive
Personne n'a crié au scandale
L'aveugle qui a dit "À poil !"
Il était ivre
Les enfants grimpaient sur les murs
J'écoutais monter leurs murmures
Derrière ta traîne
Fou Dieu ! Cette statue, elle bouge !
Le vent a sculpté à la gouge
Ce cul de reine
Frôlant la fontaine Wallace
Ton cul ennobli a pris place
Près du bassin
Les gens ont bissé le pigeon
Venu achever son plongeon
Entre tes seins
Pour ne pas déranger ton repos
J'ai mis mes bras entre ta peau
Et la margelle
Et moi riant et toi si nue
On a remonté l'avenue
Louise Michel
Et moi riant et toi si nue
On a remonté l'avenue
Louise Michel
Allain LEPREST
Bilou
Qu'est c'que t'as franginette ? C'est drôle, t'es plus la même
Celle qui tachait ma piaule d'éclaboussures de robes
Qui s'gavait de Beatles et de choux à la crème
Qui lisait les Claudines à ch'val derrière ma mob
Dans ton blouson d'marlou
Bilou
Pourquoi t'as maquillé tes lèvres à la craie blanche ?
Ta bouche où fleurissaient des musiques si rouges
Des gros mots merveilleux, des rires en avalanches
Des internationales pour emmerder les bourges
Des baisers pour les loups
Bilou
Qu'est c'que t'as ma jumelle ? C'est-y ça l'mal du siècle ?
Se fuir du mal à cause d'avoir du mal aux autres
S'arracher tant de larmes qu'on se retrouve à sec
Voir un été pourri, se dire que c'est d'sa faute
Crécher dans un igloo
Bilou
Bilou ma belle idiote, ça s'rait trop moche, dis
Si ça couvait aussi chez toi cette langueur
Qu'est comme une maladie qu'est pas une maladie
Qu'on croit qu'ça vient du cœur et qu'on n'a rien au cœur
Qu'un invisible clou
Bilou
Bilou, le feu follet la plus courue d'mes boums
Le bonheur sur ta peau a retourné sa veste
Le bar du Saint-Amand, le café aux loukoums
Le temps se fait la paire en accrochant les restes
Au clocher d'Saint-Maclou
Bilou
Qu'est c'que t'as ma jumelle, qu'on croit inguérissable
Qui use les regards dans des boîtes de kleenex
Qu'enlise chaque pas sous des tonnes de sable
Qui sert du bouillon fade dans des verres en pyrex
Qui rend les photos floues ?
Bilou
Bilou fais un effort, je te jure que tu ris
Rire, c'est ça, tu t'rappelles, tu vois c'est pas si dur
Regarde la pluie s'barrer au cul du car-ferry
Le vent lèche tes joues peintes de confiture
Pour un peu j's'rais jaloux
Bilou Bilou... Bilou
Allain LEPREST
La gitane
Je la voyais danser, danser
La gitane sur le paquet
Des cigarettes de papa
Elle avait une robe en papier
Les yeux bleus comme la fumée
Et la peau couleur de tabac
Eh, señorita SEITA
Ce soir je vais craquer pour toi
L'accordéon de mes poumons
Sur cette fine silhouette
Et ses castagnettes muettes
Dans la nuit noire du goudron
Viens me donner à la tétine
Ces paroles de nicotine
Qui mettent ma gorge au supplice
Quand cent mille bouches te baisent
Du bout filtre jusqu'à la braise
Dans un champ de papier maïs
Descend jusqu'au fond du mégot
Chanter du rocko-flamenco
En grattant mes cordes vocales
Danser les pieds nus dans la cendre
Allumer ma bouche et entendre
Battre mon cœur de caporal
O belle brune qui se fume
Dans ce siècle où tout se consume
Entre nos doigts jaunes et se jette
O toi qui portera mon deuil
Demain couché dans le cercueil
De mon étui de cigarettes
O toi qui portera mon deuil
Demain couché dans le cercueil
De mon étui de cigarettes
Allain LEPREST
À la mémoire de Zulma
Elle était riche de vingt ans,
Moi j’étais jeune de vingt francs,
Et nous fîmes bourse commune,
Placée, à fonds perdu, dans une
Infidèle nuit de printemps…
La lune a fait un trou dedans,
Rond comme un écu de cinq francs,
Par où passa notre fortune :
Vingt ans ! vingt francs !… et puis la lune !
…
Tristan Corbière
La Pipe au poète
Je suis la Pipe d’un poète,
Sa nourrice, et : j’endors sa Bête.
Quand ses chimères éborgnées
Viennent se heurter à son front,
Je fume… Et lui, dans son plafond,
Ne peut plus voir les araignées.
… Je lui fais un ciel, des nuages,
La Mer, le désert, des mirages ;
Il laisse errer là son œil mort…
Et, quand lourde devient la nue,
Il croit voir une ombre connue,
– Et je sens mon tuyau qu’il mord…
– Un autre tourbillon délie
Son âme, son carcan, sa vie !
… Et je me sens m’éteindre. – Il dort.
– Dors encor : la Bête est calmée,
File ton rêve jusqu’au bout
Mon Pauvre !… la fumée est tout
– S’il est vrai que tout est fumée…
Tristan Corbière
Fleur d’art
Oui. – Quel art jaloux dans Ta fine histoire !
Quels bibelots chers ! – Un bout de sonnet,
Un cœur gravé dans ta manière noire,
Des traits de canif à coups de stylet. –
Tout fier mon cœur porte à la boutonnière
Que tu taillas un petit bouquet
D’immortelle rouge. – Encor ta manière –
C’est du sang en fleur. Souvenir coquet.
Allons, pas de pleurs à notre mémoire !
– C’est la male mort de l’amour, ici.
Foin du myosotis, vieux sachet d’armoire !
Double femme, va !… Qu’un âne te braie !
Si tu n’étais fausse, eh, serais-tu vraie ?
L’amour est un duel : – bien touché ! Merci.
Tristan Corbière
Sonnet à Sir Bob
Chien de femme légère, braque anglais pur sang.
Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse,
Je grogne malgré moi - pourquoi ? - Tu n'en sais rien...
- Ah, c'est que moi - vois-tu - jamais je ne caresse,
Je n'ai pas de maîtresse, et... ne suis pas beau chien.
- Bob ! Bob ! - Oh ! le fier nom à hurler d'allégresse !...
Si je m'appelais Bob... Elle dit Bob si bien !...
Mais moi je ne suis pas pur sang. - Par maladresse,
On m'a fait braque aussi... mâtiné de chrétien.
- Ô Bob ! nous changerons, à la métempsycose :
Prends mon sonnet, moi ta sonnette à faveur rose ;
Toi ma peau, moi ton poil - avec puces ou non...
Et je serai Sir Bob - Son seul amour fidèle !
Je mordrai les roquets, elle me mordrait, Elle !...
Et j'aurai le collier portant Son petit nom.
Tristan Corbière
La mort de l’aigle
Quand l'aigle a dépassé les neiges éternelles,
À ses larges poumons il veut chercher plus d'air
Et le soleil plus proche en un azur plus clair
Pour échauffer l'éclat de ses mornes prunelles.
Il s'enlève. Il aspire un torrent d'étincelles.
Toujours plus haut, enflant son vol tranquille et fier,
Il plane sur l'orage et monte vers l'éclair
Mais la foudre d'un coup a rompu ses deux ailes.
Avec un cri sinistre, il tournoie, emporté
Par la trombe, et, crispé, buvant d'un trait sublime
La flamme éparse, il plonge au fulgurant abîme.
Heureux qui pour la Gloire ou pour la Liberté,
Dans l'orgueil de la force et l'ivresse du rêve,
Meurt ainsi d'une mort éblouissante et brève !
José-Maria de HEREDIA
La sieste
Pas un seul bruit d'insecte ou d'abeille en maraude,
Tout dort sous les grands bois accablés de soleil
Où le feuillage épais tamise un jour pareil
Au velours sombre et doux des mousses d’émeraude.
Criblant le dôme obscur, Midi splendide y rôde
Et, sur mes cils mi-clos alanguis de sommeil,
De mille éclairs furtifs forme un réseau vermeil
Qui s'allonge et se croise à travers l'ombre chaude.
Vers la gaze de feu que trament les rayons,
Vole le frêle essaim des riches papillons
Qu'enivrent la lumière et le parfum des sèves ;
Alors mes doigts tremblants saisissent chaque fil,
Et dans les mailles d'or de ce filet subtil,
Chasseur harmonieux, j'emprisonne mes rêves.
José-Maria de HEREDIA
Pan
À travers les halliers, par les chemins secrets
Qui se perdent au fond des vertes avenues,
Le Chèvre-pied, divin chasseur de Nymphes nues,
Se glisse, l'oeil ardent, sous les hautes forêts.
Il est doux d'écouter les soupirs, les bruits frais
Qui montent à midi des sources inconnues
Quant le Soleil, vainqueur étincelant des nues,
Dans la mouvante nuit darde l'or de ses traits.
Une Nymphe s'égare et s'arrête. Elle écoute
Les larmes du matin qui pleuvent goutte à goutte
Sur la mousse. L'ivresse emplit son jeune coeur.
Mais, d'un seul bond, le Dieu du noir taillis s'élance,
La saisit, frappe l'air de son rire moqueur,
Disparaît... Et les bois retombent au silence.
José-Maria de HEREDIA
Sonnet madrigal
J’ai voulu des jardins pleins de roses fleuries,
J’ai rêvé de l’Éden aux vivantes féeries,
De lacs bleus, d’horizons aux tons de pierreries ;
Mais je ne veux plus rien ; il suffit que tu ries.
Car, roses et muguets, les lèvres et tes dents
Plus que l’Éden, sont but de désirs imprudents,
Et tes yeux sont des lacs de saphir, et dedans
S’ouvrent des horizons sans fin, des cieux ardents.
Corps musqués sous la gaze où l’or lamé s’étale,
Nefs, haschisch… j’ai rêvé l’ivresse orientale.
Et mon rêve s’incarne en ta beauté fatale.
Car, plus encor qu’en mes plus fantastiques vœux,
J’ai trouvé de parfums dans l’or de tes cheveux,
D’ivresse à m’entourer de tes beaux bras nerveux.
Charles Cros
Triolets fantaisistes
Sidonie a plus d’un amant,
C’est une chose bien connue
Qu’elle avoue, elle, fièrement.
Sidonie a plus d’un amant
Parce que, pour elle, être nue
Est son plus charmant vêtement.
C’est une chose bien connue
Sidonie a plus d’un amant.
Elle en prend à ses cheveux blonds
Comme, à sa toile, l’araignée
Prend les mouches et les frelons.
Elle en prend à ses cheveux blonds.
Vers sa prunelle ensoleillée
Ils volent, pauvres papillons.
Comme, à sa toile, l’araignée
Elle en prend à ses cheveux blonds.
Elle en attrape avec les dents
Quand le rire entrouvre sa bouche
Et dévore les imprudents.
Elle en attrape avec les dents.
Sa bouche, quand elle se couche,
Reste rose et ses dents dedans.
Quand le rire entrouvre sa bouche
Elle en attrape avec les dents.
Elle les mène par le nez,
Comme fait, dit-on, le crotale
Des oiseaux qu’il a fascinés.
Elle les mène par le nez.
Quand dans une moue elle étale
Sa langue à leurs yeux étonnés,
Comme fait, dit-on, le crotale
Elle les mène par le nez.
Sidonie a plus d’un amant,
Qu’on le lui reproche ou l’en loue
Elle s’en moque également.
Sidonie a plus d’un amant.
Aussi, jusqu’à ce qu’on la cloue
Au sapin de l’enterrement,
Qu’on le lui reproche ou l’en loue,
Sidoine aura plus d’un amant.
Charles Cros.
Coin de tableau
Sensation de Haschisch
Tiède et blanc était le sein.
Toute blanche était la chatte.
Le sein soulevait la chatte.
La chatte griffait le sein.
Les oreilles de la chatte
Faisaient ombre sur le sein.
Rose était le bout du sein,
Comme le nez de la chatte.
Un signe noir sur le sein
Intrigua longtemps la chatte ;
Puis, vers d’autres jeux, la chatte
Courut, laissant nu le sein.