L’Artois
(…) II
Artois aux gais talus où les chardons foisonnent,
Entremêlant aux blés leurs têtes de carmin ;
Je t’aime quand, le soir, les moucherons bourdonnent,
Quand tes cloches, au loin, pieusement résonnent,
Et que j’erre au hasard, tout seul sur le chemin.
J’aime ton grand soleil qui se couche dans l’herbe ;
Humilité, splendeur, tout est là, c’est le Beau ;
Le sol fume ; et c’est l’heure où s’en revient, superbe,
La glaneuse, le front couronné de sa gerbe
Et de cheveux plus noirs que l’aile d’un corbeau.
C’est une enfant des champs, âpre, sauvage et fière ;
Et son galbe fait bien sur ce simple décor,
Alors que son pied nu soulève la poussière,
Qu’agrandie et mêlée au torrent de lumière,
Se dressant sur ses reins, elle prend son essor.
C’est elle. Sur son sein tombent des plis de toile ;
Entre les blonds épis rayonne son oeil noir ;
Aux franges de la nue ainsi brille une étoile ;
Phidias eût rêvé le chef-d’oeuvre que voile
Cette jupe taillée à grands coups d’ébauchoir.
Laissant à l’air flotter l’humble tissu de laine,
Elle passe, et gaîment brille la glane d’or,
Et le soleil rougit sur sa face hautaine.
Bientôt elle se perd dans un pli de la plaine,
Et le regard charmé pense la voir encor.
(…) Jules Breton (1827-1906)