Nul poème achevé, nulle douce amoureuse
Ne remplira jamais de somnolence heureuse
Mon cœur que rien n'apaise et que rien n'assouvit.
Car après tous mes vers et toutes mes étreintes,
Indicible et profond, dans mon Âme survit
Le Regret des Désirs morts et des Soifs éteintes.
Rêves et désirs
Réminiscences épiques
Je préfère aux beautés des Artémis divines
Le corps mièvre et danseur des filles de Paris ;
J'aime les yeux rieurs et les voilettes fines,
Les contours estompés par la poudre de riz.
J'aime l'ambre et le musc plus que l'antique myrrhe ;
Pour moi, la nudité des nymphes ne vaut pas
Une robe moulant un beau corps, et j'admire
Les chers souliers nerveux qui font de petits pas.
Et comme les froufrous des vêtements de femmes,
Comme l'odeur des fleurs mortes entre les seins,
J'aime tous les petits frissons des frêles âmes
Et le subtil parfum des poèmes malsains.
…
Dimanches parisiens
Sous le ciel gris lavé d'opale
Et qu'un soleil aux rayons lents
Poudre d'or vaporeux et pâle,
Elles vont à pas nonchalants ;
Roses de froid sous les voilettes
Elles passent, laissant dans l'air
Une senteur de violettes
Mourantes, et de blonde chair.
Elles ne vont ni vers l'église
Où, sur les mystiques autels,
L'encens qui monte symbolise
L'élan des esprits immortels ;
Ni vers les discrètes alcôves
Où le mousseux déroulement
Des rideaux jusqu'aux tapis fauves
Ruisselle langoureusement.
Sur les promenades banales
Elles vont montrer leurs velours
Et les richesses hivernales
Des manteaux orgueilleux et lourds.
Elles passent, frêles poupées
Aux yeux cruellement sereins,
Adorablement occupées
À bien cambrer leurs souples reins,
À faire entrevoir leur chair d'ambre
Et leurs cheveux d'or blond ou roux,
Et, sur le verglas de Décembre,
Leur robe a de royaux froufrous.
Mais le long dimanche, plus triste
Que les plus monotones nuits,
Dans leurs yeux de froide améthyste
A mis la fièvre des ennuis.
Ô Promeneuses des jours blêmes
D'hiver et des dimanches longs,
Nous, les chiffonneurs de poèmes,
Mignonnes, nous vous ressemblons,
Et, sans Amour et sans Prières,
Nous allons montrer, indolents,
Notre manteau de Rimes fières
Qui fait des froufrous insolents.
Mais un Ennui vague ensommeille
Notre marche lente à travers
Une vie égale, et pareille
Aux dimanches gris des hivers.
Clair de lune mystique
Ce soir, au fond d'un ciel uniforme d'automne,
La lune est toute seule ainsi qu'un bâtiment
Perdu sur les déserts marins, et lentement
Vogue dans l'infini de la nuit monotone.
Ce n'est pas la clarté des monotones nuits
Brillantes d'or fluide et de brume opaline ;
Mais le ciel gris est plein de tristesse câline
Ineffablement douce aux cœurs chargés d'ennuis.
Chère, mon âme obscure est comme un ciel mystique,
Un ciel d'automne, où nul astre ne resplendit,
Et ton seul souvenir, ce soir, monte et grandit
En moi, comme une lune immense et fantastique.
Chère, nous n'avons pas été de vrais amants :
C'est par caprice et par ennui que nous nous prîmes,
Et pourtant, j'ai voulu te façonner des rimes,
Bijoux sacrés, ayant d'étranges chatoîments.
C'est qu'au fond de mon cœur mystérieux d'artiste,
Le souvenir de ton amour pâle et banal
Verse comme le ciel en un bois automnal
Un reflet alangui de clair de lune triste.
À celle qui aima le cloître
Tu parlais du jardin où les roses claustrales
Pour les bouquets d'autel fleurissaient doucement,
Des nonnes dans l'enclos lumineux et dormant
Cueillant des fruits au son des cloches vespérales ;
Et moi je te voyais en un calme couvent
T'asseoir, rigide et blanche, aux stalles des chapelles
Et lever vers le ciel tes mains froides et belles
Et fermer ta fenêtre au printemps décevant.
Je te vois puérile et chaste, et je devine
À ton sourire tes extases d'autrefois.
Les cantiques anciens résonnent dans ta voix,
Tu gardes dans tes yeux un peu d'ombre divine.
N'est-ce pas que là-bas, en de mystiques soirs,
Comme moi tu songeas à des choses célestes ?
Pour toujours maintenant, ô sombre sœur, tu restes
Celle qui mit des lys aux arcs des reposoirs.
Et peut-être souvent ta tête appesantie
S'endort sur mon épaule en regrettant le ciel,
Et mes lèvres d'amant n'ont pas assez de miel
Pour vaincre la saveur de la première hostie.
Tous les deux, nous avons trop longtemps contemplé
Les nuages en fuite et les roses du cloître,
Notre puissant amour pourra durer et croître,
Notre cœur restera divinement troublé.
Peut-être expions-nous l'ivresse merveilleuse
D'avoir rêvé jadis à des pays meilleurs ?
Nous sommes les amants tristes parmi les fleurs
Et même le bonheur ne te fait pas joyeuse.
Effet de soir
Cette nuit, au-dessus des quais silencieux,
Plane un calme lugubre et glacial d'automne.
Nul vent. Les becs de gaz en file monotone
Luisent au fond de leur halo, comme des yeux.
Et, dans l'air ouaté de brume, nos voix sourdes
Ont le son des échos qui se meurent, tandis
Que nous allons rêveusement, tout engourdis
Dans l'horreur du soir froid plein de tristesses lourdes.
Comme un flux de métal épais, le fleuve noir
Fait sous le ciel sans lune un clapotis de vagues.
Et maintenant, empli de somnolences vagues,
Je sombre dans un grand et morne nonchaloir.
Avec le souvenir des heures paresseuses
Je sens en moi la peur des lendemains pareils,
Et mon âme voudrait boire les longs sommeils
Et l'oubli léthargique en des eaux guérisseuses.
Mes yeux vont demi-clos des becs de gaz trembleurs
Au fleuve où leur lueur fantastique s'immerge,
Et je songe en voyant fuir le long de la berge
Tous ces reflets tombés dans l'eau, comme des pleurs,
Que, dans un coin lointain des cieux mélancoliques,
Peut-être quelque Dieu des temps anciens, hanté
Par l'implacable ennui de son Éternité,
Pleure ces larmes d'or dans les eaux métalliques.
C’est un soir…
C’est un soir de silence et de deuil tendre,
Tous les lys du jardin tremblent un peu ;
Les ormes de l’allée ont l’air d’attendre,
On dirait que les vents pleurent un dieu.
…
Infidélités
Tu parlais de choses anciennes,
De riches jardins somnolents
Que de nobles musiciennes
Troublent, le soir, d'échos dolents ;
Et de chapelles où s'attardent
Les princesses en oraison ;
Et de lits féodaux que gardent
Toutes les bêtes du blason.
Hélas ! tes paroles amies
Pour mon cœur avide et lassé
Ont réveillé ces endormies :
Les amoureuses du passé.
Et chacune à présent se lève
Devant moi dans le calme soir,
Émergeant à demi du rêve
Comme un corps blanc d'un fleuve noir.
Oh ! les invincibles rivales
Que vous-mêmes vous appelez ;
par ces visions triomphales
Nos pâles amours sont troublés.
Entre vos seins de sœur clémente
Vous cachez vainement mon front :
C'est vers quelque lointaine amante
Que mes désirs cruels iront.
Je sais bien, vos yeux d'améthyste
S'emplissent de reproches doux...
Et je suis mortellement triste
De n'avoir plus d'amour pour vous.